RAPPORT FERRAN
Posté : 28 Avr 2008 10:06
Le Rapport Ferran. Extraits
. Extraits. Constat, objectifs et méthode.
De fin Mars à Décembre 2007, un groupe de travail, commandité par personne et n’obéissant à aucune règle de représentation professionnelle ou syndicale, s’est réuni à un rythme soutenu (18 réunions de 4 à 8 heures chacune) pour tenter de mieux comprendre les difficultés actuelles de fabrication et d’exposition d’un certain cinéma en France et essayer d’y apporter quelques réponses.
Le Club des 13
Cécile Vargaftig (scénariste), Jacques Audiard, Pascale Ferran, Claude Miller (réalisateurs), Denis Freyd, Arnaud Louvet, Patrick Sobelman, Edouard Weil (producteurs), Fabienne Vonier (distributrice), Stéphane Goudet, Claude-Eric Poiroux et Jean-Jacques Ruttner (exploitants), François Yon (exportateur).
1. Naissance du groupe.
in Février, quelques jours après les César, dans l’espace ouvert par le discours de Pascale Ferran [1] lien sur les dysfonctionnements de financement du cinéma en France, les dangers de la bipolarisation et la crise actuelle des films d’auteur dit« du milieu », l’idée d’un petit groupe de réflexions naît de façon informelle, puis se concrétise rapidement.
Le principe inaugural du groupe, celui qui fédère toutes les énergies, tient à la façon dont celui-ci sera constitué :
Il s’agit de réunir autour d’une table, en toute indépendance d’esprit, un certain nombre de personnes qui, si elles ne représentent qu’elles-mêmes, forment à elles toutes l’intégralité de la chaine de fabrication et d’exposition d’un film - de l’écriture à l’exportation.
Ces membres ont tous un rapport artisanal au cinéma. Et ceux qui .sont aussi dirigeant de société (de production, de distribution, d’exploitation ou d’exportation) appartiennent à des sociétés sans lien capitalistique. ou même accord-cadre avec un groupe audiovisuel ou cinématographique. [2]
C’est donc un groupe de travail transversal et indépendant qu’il s’agit de constituer.
Très vite, deux évidences s’imposent :
D’une part, et malgré tout le désir que nous aurions d’élargir, nous ne pouvons pas être trop nombreux autour de la table, si nous voulons avoir une chance que la parole circule au mieux et que le travail soit fructueux.
D’autre part, le. groupe ne peut se constituer que sur la base d’une estime réciproque, voire d’une forme d’amitié entre ses membres, afin que les possibles conflits d’intérêt sectoriels soient déplacés au profit de notre seul bien commun : le cinéma.
Rapidement, parce que nous considérons que le CNC est notre maison commune, nous rencontrons Véronique Cayla [3] pour lui demander que les réunions. du groupe soient accueillies dans les locaux du CNC et nourries en documents officiels concernant les règlementations en vigueur (et, plus prosaïquement, en sandwichs quand les horaires le nécessitent).
Véronique Cayla répond favorablement à notre demande à la double condition qu’il soit transparent pour tous que le CNC n’est pas à l’initiative de ce groupe de réflexions et qu’il travaille dans la plus grande confidentialité jusqu’à l’aboutissement de ses travaux.
Conditions que nous partageons entièrement.
Le 29 mars, le groupe alors constitué de 11 membres (Claude-Eric Poiroux et Arnaud Louvet le rejoindront un peu plus tard) se réunit donc au CNC pour la première fois.
C’est lors de cette première réunion que se dessine un certain nombre de constats inauguraux et d’objectifs potentiels à atteindre.
Constats inauguraux et objectifs premiers.
Lors d’un premier tour de table, chacun exprime, à partir de sa connaissance personnelle du secteur, un certain nombre de constats ou de questions dont l’addition produit une sorte de premier état des lieux.
C’est à partir de ce premier état des lieux que s’organisera la suite des travaux qui devrait permettre d’explorer, de déplier, d’articuler ces constats inauguraux.
Ces constats, ces questions, les voici :
1. Baisse de la qualité des films. Dichotomie au regard des talents en présence.
Alors que la France est sans doute l’un des quelques pays au monde où il y a le plus grand nombre de talents réunis : de très grands cinéastes, scénaristes, comédiens, techniciens, de tous âges et toutes catégories de film confondues, pourquoi les films français ne sont-ils pas meilleurs ?
Pourquoi a t on, à ce point, l’impression, depuis quelques années, que la qualité des films baisse, qu’il s’agisse de films à très petit budget, à budget moyen ou très cher ?
Il y a bien-sûr des exceptions qu’il peut être intéressant de regarder entame que telles, comme contre-exemples, mais l’on ne peut que constater une baisse générale de qualité, d’un bout à !’ autre"du spectre.
Existe-t-il des raisons structurelles à cela ? Et si oui, lesquelles ?
2.Bipolarisation accrue. Ou « De la difficulté de produire des films du milieu ».
Le fossé n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui entre les différentes familles de films, et entre leurs modes de production : d’un côté, une production’ riche et qui vit confortablement sur la fabrication du film en cumulant un maximum de financements, même si le film, à l’arrivée, ne pourra jamais être réellement rentable (devise « La star du film, c’est le budget »). Ils n’ont jamais été si nombreux : 19 films à plus de 15 M€ devraient être tournés en 2007. De l’autre, des films à petits ou très petits budgets (entre 800.000 € et 3 M €) qui se font, presque toujours, dans une économie précaire.
Entre les deux, les films dits « du milieu » (de 3/4 à 7/8 M€), qui se révèlent aujourd’hui les plus difficiles à financer, alors qu’ils sont pourtant la vie même du cinéma et son renouvellement. Ce sont des films qui exigent une capacité d’écriture et de développement de longue durée, et sont donc très coûteux pour des sociétés indépendantes. A la mise en fabrication, ils n’ont généralement pas trouvé l’intégralité de leur budget et ce sont ces mêmes sociétés de production qui doivent prendre le plus de risques financiers pour les faire aboutir.
3. « L’ascenseur social des films est en panne ».
Jusqu’à il y a dix ou quinze ans, les jeunes cinéastes considérés comme les plus talentueux de leur génération voyaient la capacité de financement de leur projet augmenter, à mesure qu’ils s’affirmaient et allaient vers un public plus large.
C’est de moins en moins le cas aujourd’hui.
La plupart des cinéastes, même ceux de films chers, reste enfermée dans une case de budget dont ils n’ont plus vraiment le droit de sortir.
A quelques exceptions près, la très riche génération de réalisateurs qui a émergé dans les années 90 est aussi la première génération qui a la plus grande difficulté à monter en puissance, en termes de budget et de représentation du monde, en raison même des difficultés à produire des films d’auteur de plus de 3 ou 4 M €.
4. Un symptôme récent et particulièrement lourd de menaces : le non-renouvellement des talents et des structures.
La France a toujours été l’un des pays où l’on produisait le plus de premiers films. Les années 2005 et 2006 n’ont pas dérogé à la règle. TI y en a même bien davantage qu’il y _a 15 ou 20 ans et pourtant, force est de constater que très peu de jeunes cinéastes ou de jeunes scénaristes émergent depuis 4 ou 5 ans. [4]
Au même moment, les sociétés de production de court-métrages ont les plus grandes difficultés à passer au long ; et les structures indépendantes de production ou de distribution se renouvèlent moins qu’auparavant.
Les premiers films, qui étaient jusqu’à très récemment un espace dé liberté de création mieux protégé que d’autres, semblent aujourd’hui frappés de plein
fouet par les lois du marché, la baisse de qualité générale et la dégradation des pratiques, en particulier dans le temps d’écriture et de conception.
Cet état de fait est-il seulement une résultante des autres paramètres, ou y a t il des explications spécifiques qui permettraient d’apporter des réponses plus appropriées ? .
5. Une logique d’entreprise contre une logique de film.
On assiste, depuis quelque temps, à un glissement d’une logique de film à une logique d’entreprise. Il y a une survalorisation du programme et des entreprises et une dévaluation du film comme objet singulier ou comme prototype. On est passé’ d’une logique où la .société de production existait pour porter un projet, à une logique où la rentabilité de la société prime, jusqu’à parfois induire la nécessité de produire pour la faire vivre.
Est-il encore possible de revenir à la première logique, artisanale, où le film est le centre autour duquel le secteur tout entier s’organise ? .
6. Télévision/Cinéma : un mariage contre-nature.
Petit historique :
Le mariage entre la télévision et le cinéma a toujours été un mariage forcé. En 1986, les producteurs de cinéma imposent aux chaînes de télévision des obligations d’investissements de production pour compenser le manque à gagner des entrées en salles.
Pendant quelques années, cela tient cahin-caha. Jusqu’à ce que les chaînes hertziennes comprennent qu’elles n’ont aucun intérêt économique à produire les meilleurs films, ni même ceux qui. font le plus d’entrées en salles, mais qu’elles peuvent détourner cette obligation à leur avantage, en finançant des) films ayant vocation à faire le maximum d’audience sur leur chaîne. Or un téléspectateur n’a rien à voir avec un spectateur de cinéma. TI n’a ni les mêmes attentes ni les mêmes désirs et ce, même quand il s’agit de la même personne.
Les chaînes privées ont, logiquement, été les premières à le comprendre, bientôt suivies par les chaînes publiques ; même si celles-ci restent, encore aujourd’hui, plus sensibles au possible retour sur investissement symbolique -d’un succès, d’un prix ou d’une sélection dans un grand festival- pour l’image de leur chaîne. [5]
Pendant 60 ans, date de la création du CNC, lé cinéma français a été une économie mixte privée / publique. Aujourd’hui, ce même cinéma est soumis principalement au bon vouloir d’un seul marché directeur : celui de la télévision. Le mariage forcé est devenu un mariage contre-nature.
Et cela donne lieu à des échanges de plus en plus violents entre les époux.
Les décideurs des chaînes ne cessent de répéter qu’ils ne veulent plus de nos films et que le cinéma n’est plus un bon produit pour le petit écran. Et l’on peut à la fois comprendre leur logique et penser que l’écart se creusera toujours davantage dans un avenir proche.
Est-ce que notre groupe de travail n’a pas avant tout vocation à penser cette question-là ?
7. Marchandisation. Substitution du pouvoir des producteurs par celui des diffuseurs.
On continue à vivre sur l’idée que le cinéma est à la fois un art et une industrie (puissance de la pensée de Malraux), alors qu’entre temps, il est devenu essentiellement un commerce.
La marchandisation actuelle du cinéma vient de la prise de pouvoir, en tenaille, du petit et des grands écrans. C’est-à-dire la substitution du pouvoir des producteurs par celui des diffuseurs : la télévision d’un côté, les grands groupes d’exploitation de l’autre.
Et si, d’un côté, les directeurs d’Antenne ont intérêt à ce que leurs filiales produisent des films profilés pour la télévision ; de l’autre, les multiplexes ont intérêt à une offre surabondante de films fortement médiatisés. La qualité des films compte moins alors que leur visibilité ou leur budget de promotion (sur l’air de « Un bon film est un film qui marche » [6]).
8. De la violence des rapports entre distributeurs et exploitants.
La violence des rapports s’est accrue entre distributeurs et exploitants depuis quelques années. TI y a trop de films dans les salles par rapport à ce que le marché peut absorber. Et l’exigence de résultat sur les premiers jours rend impossible l’exploitation tranquille des films qui s’appuient avant tout sur le . bouche-à-oreille.
On assiste à un retournement complet du système :
Il y a dix ou quinze ans, les sorties éclair surpromotionnées étaient réservées aux films dont le distributeur lui-même savait qu’ils n’étaient pas bons, que le bouche-à-oreille allait le desservir et qu’il fallait donc faire le maximum d’entrées en un minimum de temps.
Aujourd’hui l’exception, conçue au départ pour les mauvais films, est devenue la règle.
9. Quid des résultats des films sur le marché international ?
Il se trouve que les films profilés pour la télévision (des divertissements avec des vedettes ou des comiques venant eux-mêmes du petit écran), sont ceux qui se vendent le plus mal à l’étranger. Dès qu’on sort des territoires francophones limitrophes, ils n’intéressent plus personne. Les films qui obtiennent les meilleurs résultats à l’international sont d’abord les productions EuropaCorp, en particulier celles en langue anglaise, ensuite les films d’auteurs [7], notamment ceux à budget intermédiaire dits « du milieu ». Parce que ces films-là demeurent encore et malgré tout l’image de marque du cinéma français à l’étranger.
Or, chose troublante, les résultats des films à l’export ne sont pris en compte nulle part au CNC pour un possible retour sur investissement.
Notons au passage qu’en affaiblissant le cinéma d’auteur en France, on affaiblit d’autant le rayonnement culturel de la France à l’étranger sur le terrain du cinéma.
10. Une philosophie initiale des aides dévoyées.
Tout le système d’aides français au cinéma a été conçu pour produire une forme d’équilibre, ou de régulation, entre l’art et l’industrie.
Ce système, d’une rare intelligence et d’une grande performance pendant des décennies, n’a cessé au fil du temps d’être modifié pour accompagner les transformations successives du secteur.
Aujourd’hui, il ne remplit plus son rôle.
Alors qu’il devrait corriger les lois du marché, pour atténuer ses effets les plus néfastes d’un point de vue artistique, le système de règlementation actuel ne fait que les accompagner.
Les mécanismes redistributifs - notamment les fonds de soutien automatiques Production et Distribution - ne jouent plus leur rôle de régulateur. ils ont été progressivement détournés de leurs objectifs initiaux et profitent actuellement de façon disproportionnée aux filiales de télévision et aux grands groupes.
Cela ne fait qu’accentuer une concentration des moyens et des pouvoirs sans cesse grandissants.
Il faut donc tout remettre à plat. Tout revisiter.
Objectifs et méthode
(les deux à l’occasion ne faisant qu’un).
1. Rompre avec le silence. Se raconter les pratiques dégradées. Prendre le temps de constater, d’écouter, de faire circuler la parole avant de vouloir expliquer. Décortiquer les problèmes structurels, regarder le plus finement possible les rapports entre l’économique et l’artistique.
2. Resoulever toutes les questions à partir d’une réflexion transversale, produisant de nouveaux alignements. Espérer que la compréhension intime des difficultés du secteur voisin permettra de mieux comprendre les failles de son propre secteur d’activité.
3. S’appuyer sur la capacité de chacun des membres du groupe à travailler ensemble, grâce la pratique collective du cinéma commune à tous. Dépasser les rep is ou les corporatismes sectoriels par cette aptitude commune, et le goût partagé du cinéma chez tous ceux qui n’ont pas d’autres intérêts que de fabriquer, distribuer, montrer ou exporter des films singuliers.
4. Ne pas se laisser envahir par les questions d’actualité afin de rester à la meilleure distance de vision des situations et des enjeux. Face à l’urgence : prendre le temps de produire de la pensée.
5. Revisiter les systèmes d’aide existants et voir comment on pourrait, en les modifiant, retrouver leur philosophie initiale.
. Extraits. Constat, objectifs et méthode.
De fin Mars à Décembre 2007, un groupe de travail, commandité par personne et n’obéissant à aucune règle de représentation professionnelle ou syndicale, s’est réuni à un rythme soutenu (18 réunions de 4 à 8 heures chacune) pour tenter de mieux comprendre les difficultés actuelles de fabrication et d’exposition d’un certain cinéma en France et essayer d’y apporter quelques réponses.
Le Club des 13
Cécile Vargaftig (scénariste), Jacques Audiard, Pascale Ferran, Claude Miller (réalisateurs), Denis Freyd, Arnaud Louvet, Patrick Sobelman, Edouard Weil (producteurs), Fabienne Vonier (distributrice), Stéphane Goudet, Claude-Eric Poiroux et Jean-Jacques Ruttner (exploitants), François Yon (exportateur).
1. Naissance du groupe.
in Février, quelques jours après les César, dans l’espace ouvert par le discours de Pascale Ferran [1] lien sur les dysfonctionnements de financement du cinéma en France, les dangers de la bipolarisation et la crise actuelle des films d’auteur dit« du milieu », l’idée d’un petit groupe de réflexions naît de façon informelle, puis se concrétise rapidement.
Le principe inaugural du groupe, celui qui fédère toutes les énergies, tient à la façon dont celui-ci sera constitué :
Il s’agit de réunir autour d’une table, en toute indépendance d’esprit, un certain nombre de personnes qui, si elles ne représentent qu’elles-mêmes, forment à elles toutes l’intégralité de la chaine de fabrication et d’exposition d’un film - de l’écriture à l’exportation.
Ces membres ont tous un rapport artisanal au cinéma. Et ceux qui .sont aussi dirigeant de société (de production, de distribution, d’exploitation ou d’exportation) appartiennent à des sociétés sans lien capitalistique. ou même accord-cadre avec un groupe audiovisuel ou cinématographique. [2]
C’est donc un groupe de travail transversal et indépendant qu’il s’agit de constituer.
Très vite, deux évidences s’imposent :
D’une part, et malgré tout le désir que nous aurions d’élargir, nous ne pouvons pas être trop nombreux autour de la table, si nous voulons avoir une chance que la parole circule au mieux et que le travail soit fructueux.
D’autre part, le. groupe ne peut se constituer que sur la base d’une estime réciproque, voire d’une forme d’amitié entre ses membres, afin que les possibles conflits d’intérêt sectoriels soient déplacés au profit de notre seul bien commun : le cinéma.
Rapidement, parce que nous considérons que le CNC est notre maison commune, nous rencontrons Véronique Cayla [3] pour lui demander que les réunions. du groupe soient accueillies dans les locaux du CNC et nourries en documents officiels concernant les règlementations en vigueur (et, plus prosaïquement, en sandwichs quand les horaires le nécessitent).
Véronique Cayla répond favorablement à notre demande à la double condition qu’il soit transparent pour tous que le CNC n’est pas à l’initiative de ce groupe de réflexions et qu’il travaille dans la plus grande confidentialité jusqu’à l’aboutissement de ses travaux.
Conditions que nous partageons entièrement.
Le 29 mars, le groupe alors constitué de 11 membres (Claude-Eric Poiroux et Arnaud Louvet le rejoindront un peu plus tard) se réunit donc au CNC pour la première fois.
C’est lors de cette première réunion que se dessine un certain nombre de constats inauguraux et d’objectifs potentiels à atteindre.
Constats inauguraux et objectifs premiers.
Lors d’un premier tour de table, chacun exprime, à partir de sa connaissance personnelle du secteur, un certain nombre de constats ou de questions dont l’addition produit une sorte de premier état des lieux.
C’est à partir de ce premier état des lieux que s’organisera la suite des travaux qui devrait permettre d’explorer, de déplier, d’articuler ces constats inauguraux.
Ces constats, ces questions, les voici :
1. Baisse de la qualité des films. Dichotomie au regard des talents en présence.
Alors que la France est sans doute l’un des quelques pays au monde où il y a le plus grand nombre de talents réunis : de très grands cinéastes, scénaristes, comédiens, techniciens, de tous âges et toutes catégories de film confondues, pourquoi les films français ne sont-ils pas meilleurs ?
Pourquoi a t on, à ce point, l’impression, depuis quelques années, que la qualité des films baisse, qu’il s’agisse de films à très petit budget, à budget moyen ou très cher ?
Il y a bien-sûr des exceptions qu’il peut être intéressant de regarder entame que telles, comme contre-exemples, mais l’on ne peut que constater une baisse générale de qualité, d’un bout à !’ autre"du spectre.
Existe-t-il des raisons structurelles à cela ? Et si oui, lesquelles ?
2.Bipolarisation accrue. Ou « De la difficulté de produire des films du milieu ».
Le fossé n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui entre les différentes familles de films, et entre leurs modes de production : d’un côté, une production’ riche et qui vit confortablement sur la fabrication du film en cumulant un maximum de financements, même si le film, à l’arrivée, ne pourra jamais être réellement rentable (devise « La star du film, c’est le budget »). Ils n’ont jamais été si nombreux : 19 films à plus de 15 M€ devraient être tournés en 2007. De l’autre, des films à petits ou très petits budgets (entre 800.000 € et 3 M €) qui se font, presque toujours, dans une économie précaire.
Entre les deux, les films dits « du milieu » (de 3/4 à 7/8 M€), qui se révèlent aujourd’hui les plus difficiles à financer, alors qu’ils sont pourtant la vie même du cinéma et son renouvellement. Ce sont des films qui exigent une capacité d’écriture et de développement de longue durée, et sont donc très coûteux pour des sociétés indépendantes. A la mise en fabrication, ils n’ont généralement pas trouvé l’intégralité de leur budget et ce sont ces mêmes sociétés de production qui doivent prendre le plus de risques financiers pour les faire aboutir.
3. « L’ascenseur social des films est en panne ».
Jusqu’à il y a dix ou quinze ans, les jeunes cinéastes considérés comme les plus talentueux de leur génération voyaient la capacité de financement de leur projet augmenter, à mesure qu’ils s’affirmaient et allaient vers un public plus large.
C’est de moins en moins le cas aujourd’hui.
La plupart des cinéastes, même ceux de films chers, reste enfermée dans une case de budget dont ils n’ont plus vraiment le droit de sortir.
A quelques exceptions près, la très riche génération de réalisateurs qui a émergé dans les années 90 est aussi la première génération qui a la plus grande difficulté à monter en puissance, en termes de budget et de représentation du monde, en raison même des difficultés à produire des films d’auteur de plus de 3 ou 4 M €.
4. Un symptôme récent et particulièrement lourd de menaces : le non-renouvellement des talents et des structures.
La France a toujours été l’un des pays où l’on produisait le plus de premiers films. Les années 2005 et 2006 n’ont pas dérogé à la règle. TI y en a même bien davantage qu’il y _a 15 ou 20 ans et pourtant, force est de constater que très peu de jeunes cinéastes ou de jeunes scénaristes émergent depuis 4 ou 5 ans. [4]
Au même moment, les sociétés de production de court-métrages ont les plus grandes difficultés à passer au long ; et les structures indépendantes de production ou de distribution se renouvèlent moins qu’auparavant.
Les premiers films, qui étaient jusqu’à très récemment un espace dé liberté de création mieux protégé que d’autres, semblent aujourd’hui frappés de plein
fouet par les lois du marché, la baisse de qualité générale et la dégradation des pratiques, en particulier dans le temps d’écriture et de conception.
Cet état de fait est-il seulement une résultante des autres paramètres, ou y a t il des explications spécifiques qui permettraient d’apporter des réponses plus appropriées ? .
5. Une logique d’entreprise contre une logique de film.
On assiste, depuis quelque temps, à un glissement d’une logique de film à une logique d’entreprise. Il y a une survalorisation du programme et des entreprises et une dévaluation du film comme objet singulier ou comme prototype. On est passé’ d’une logique où la .société de production existait pour porter un projet, à une logique où la rentabilité de la société prime, jusqu’à parfois induire la nécessité de produire pour la faire vivre.
Est-il encore possible de revenir à la première logique, artisanale, où le film est le centre autour duquel le secteur tout entier s’organise ? .
6. Télévision/Cinéma : un mariage contre-nature.
Petit historique :
Le mariage entre la télévision et le cinéma a toujours été un mariage forcé. En 1986, les producteurs de cinéma imposent aux chaînes de télévision des obligations d’investissements de production pour compenser le manque à gagner des entrées en salles.
Pendant quelques années, cela tient cahin-caha. Jusqu’à ce que les chaînes hertziennes comprennent qu’elles n’ont aucun intérêt économique à produire les meilleurs films, ni même ceux qui. font le plus d’entrées en salles, mais qu’elles peuvent détourner cette obligation à leur avantage, en finançant des) films ayant vocation à faire le maximum d’audience sur leur chaîne. Or un téléspectateur n’a rien à voir avec un spectateur de cinéma. TI n’a ni les mêmes attentes ni les mêmes désirs et ce, même quand il s’agit de la même personne.
Les chaînes privées ont, logiquement, été les premières à le comprendre, bientôt suivies par les chaînes publiques ; même si celles-ci restent, encore aujourd’hui, plus sensibles au possible retour sur investissement symbolique -d’un succès, d’un prix ou d’une sélection dans un grand festival- pour l’image de leur chaîne. [5]
Pendant 60 ans, date de la création du CNC, lé cinéma français a été une économie mixte privée / publique. Aujourd’hui, ce même cinéma est soumis principalement au bon vouloir d’un seul marché directeur : celui de la télévision. Le mariage forcé est devenu un mariage contre-nature.
Et cela donne lieu à des échanges de plus en plus violents entre les époux.
Les décideurs des chaînes ne cessent de répéter qu’ils ne veulent plus de nos films et que le cinéma n’est plus un bon produit pour le petit écran. Et l’on peut à la fois comprendre leur logique et penser que l’écart se creusera toujours davantage dans un avenir proche.
Est-ce que notre groupe de travail n’a pas avant tout vocation à penser cette question-là ?
7. Marchandisation. Substitution du pouvoir des producteurs par celui des diffuseurs.
On continue à vivre sur l’idée que le cinéma est à la fois un art et une industrie (puissance de la pensée de Malraux), alors qu’entre temps, il est devenu essentiellement un commerce.
La marchandisation actuelle du cinéma vient de la prise de pouvoir, en tenaille, du petit et des grands écrans. C’est-à-dire la substitution du pouvoir des producteurs par celui des diffuseurs : la télévision d’un côté, les grands groupes d’exploitation de l’autre.
Et si, d’un côté, les directeurs d’Antenne ont intérêt à ce que leurs filiales produisent des films profilés pour la télévision ; de l’autre, les multiplexes ont intérêt à une offre surabondante de films fortement médiatisés. La qualité des films compte moins alors que leur visibilité ou leur budget de promotion (sur l’air de « Un bon film est un film qui marche » [6]).
8. De la violence des rapports entre distributeurs et exploitants.
La violence des rapports s’est accrue entre distributeurs et exploitants depuis quelques années. TI y a trop de films dans les salles par rapport à ce que le marché peut absorber. Et l’exigence de résultat sur les premiers jours rend impossible l’exploitation tranquille des films qui s’appuient avant tout sur le . bouche-à-oreille.
On assiste à un retournement complet du système :
Il y a dix ou quinze ans, les sorties éclair surpromotionnées étaient réservées aux films dont le distributeur lui-même savait qu’ils n’étaient pas bons, que le bouche-à-oreille allait le desservir et qu’il fallait donc faire le maximum d’entrées en un minimum de temps.
Aujourd’hui l’exception, conçue au départ pour les mauvais films, est devenue la règle.
9. Quid des résultats des films sur le marché international ?
Il se trouve que les films profilés pour la télévision (des divertissements avec des vedettes ou des comiques venant eux-mêmes du petit écran), sont ceux qui se vendent le plus mal à l’étranger. Dès qu’on sort des territoires francophones limitrophes, ils n’intéressent plus personne. Les films qui obtiennent les meilleurs résultats à l’international sont d’abord les productions EuropaCorp, en particulier celles en langue anglaise, ensuite les films d’auteurs [7], notamment ceux à budget intermédiaire dits « du milieu ». Parce que ces films-là demeurent encore et malgré tout l’image de marque du cinéma français à l’étranger.
Or, chose troublante, les résultats des films à l’export ne sont pris en compte nulle part au CNC pour un possible retour sur investissement.
Notons au passage qu’en affaiblissant le cinéma d’auteur en France, on affaiblit d’autant le rayonnement culturel de la France à l’étranger sur le terrain du cinéma.
10. Une philosophie initiale des aides dévoyées.
Tout le système d’aides français au cinéma a été conçu pour produire une forme d’équilibre, ou de régulation, entre l’art et l’industrie.
Ce système, d’une rare intelligence et d’une grande performance pendant des décennies, n’a cessé au fil du temps d’être modifié pour accompagner les transformations successives du secteur.
Aujourd’hui, il ne remplit plus son rôle.
Alors qu’il devrait corriger les lois du marché, pour atténuer ses effets les plus néfastes d’un point de vue artistique, le système de règlementation actuel ne fait que les accompagner.
Les mécanismes redistributifs - notamment les fonds de soutien automatiques Production et Distribution - ne jouent plus leur rôle de régulateur. ils ont été progressivement détournés de leurs objectifs initiaux et profitent actuellement de façon disproportionnée aux filiales de télévision et aux grands groupes.
Cela ne fait qu’accentuer une concentration des moyens et des pouvoirs sans cesse grandissants.
Il faut donc tout remettre à plat. Tout revisiter.
Objectifs et méthode
(les deux à l’occasion ne faisant qu’un).
1. Rompre avec le silence. Se raconter les pratiques dégradées. Prendre le temps de constater, d’écouter, de faire circuler la parole avant de vouloir expliquer. Décortiquer les problèmes structurels, regarder le plus finement possible les rapports entre l’économique et l’artistique.
2. Resoulever toutes les questions à partir d’une réflexion transversale, produisant de nouveaux alignements. Espérer que la compréhension intime des difficultés du secteur voisin permettra de mieux comprendre les failles de son propre secteur d’activité.
3. S’appuyer sur la capacité de chacun des membres du groupe à travailler ensemble, grâce la pratique collective du cinéma commune à tous. Dépasser les rep is ou les corporatismes sectoriels par cette aptitude commune, et le goût partagé du cinéma chez tous ceux qui n’ont pas d’autres intérêts que de fabriquer, distribuer, montrer ou exporter des films singuliers.
4. Ne pas se laisser envahir par les questions d’actualité afin de rester à la meilleure distance de vision des situations et des enjeux. Face à l’urgence : prendre le temps de produire de la pensée.
5. Revisiter les systèmes d’aide existants et voir comment on pourrait, en les modifiant, retrouver leur philosophie initiale.