Audiovisuel, Internet, Hadopi : Sarkozy parleLe Point - 15/03/2012Le candidat Sarkozy livre son projet sur les médias.
Le Point : La suppression de la publicité sur France Télévisions n'a pas amélioré la qualité des programmes. Elle coûte près de 400 millions d'euros par an. En avait-on vraiment les moyens ?
Nicolas Sarkozy : Je vous trouve bien sévère avec notre service public. À ma connaissance, la télé-réalité n'y règne pas en maître et ce sont nos chaînes publiques qui, en cette période de campagne électorale, ouvrent le plus largement leurs antennes au débat public. Elles jouent là un rôle essentiel dans notre vie démocratique. Pour la seule semaine dernière, France 2 n'a pas hésité à lui consacrer deux soirées complètes. L'émission Des paroles et des actes, qui fait honneur au service public, a été programmée deux fois à quarante-huit heures d'intervalle. Dimanche dernier, c'est encore la télévision publique qui a diffusé un documentaire sur la guerre d'Algérie dans le droit-fil de ce que le groupe avait fait pour la Seconde Guerre mondiale avec la magnifique série Apocalypse. Qui pouvait imaginer que des archives audiovisuelles colorisées remporteraient un tel succès à l'ère de l'image numérique ? C'est parce que la réforme que j'ai voulue a libéré le service public de la pression publicitaire après 20 heures que les chaînes publiques ont pu prendre de tels risques et remporter de tels succès. Imaginez ce qu'auraient dit les annonceurs publicitaires chez les concurrents...
L'une des bonnes intentions de la réforme consistait à faire débuter les premières parties de soirée vers 20 h 35 afin que les secondes parties de soirée ne démarrent pas trop tard. Deux ans plus tard, les soirées commencent à plus de 20 h 45... Pourquoi ne réagissez-vous pas ? Pour le coup, votre intervention serait légitime...
Ce n'est pas faux, mais cette dérive n'est pas due aux spots publicitaires, ils n'existent plus ! France Télévisions semble avoir fait le choix depuis quelques mois de prolonger le journal de 20 heures. Il est difficile de lui en faire le reproche à quelques semaines d'une élection présidentielle. Les Français vont faire un choix crucial pour l'avenir de notre pays, ils ont besoin d'être informés et, je le répète, c'est la mission du service public de répondre à cette attente. Cela étant dit, je ne suis pas le gendarme de l'audiovisuel et il ne m'appartient pas de "réagir", comme vous le dites. Ce n'est pas à moi de faire respecter les cahiers des missions et des charges de France Télévisions et les engagements des chaînes, qu'elles soient publiques ou privées. Cela relève du seul Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Vous avez souhaité sortir de l'"hypocrisie" des nominations par le CSA en proposant plus directement la nomination des P-DG de l'audiovisuel public. Les effets pervers de la réforme ont jeté une suspicion permanente sur les directions de France Télévisions et de Radio France. Puisque l'audiovisuel public est le bien de tous, n'est-il pas temps de s'en remettre à un mode de désignation qui fasse consensus entre la droite et la gauche ?
J'ai souhaité la transparence, c'est tout. Le président de la République désigne le candidat soutenu par la tutelle. Il est ensuite proposé à l'approbation du Parlement et du CSA. Il reçoit ainsi l'aval de la représentation nationale et celui de l'autorité qui régule le secteur. C'est une procédure parfaitement démocratique. Quant au risque de suspicion que vous évoquez, permettez-moi de vous dire qu'il me paraît bien imaginaire. Lorsque je regarde les journaux télévisés de France 2 et de France 3 ou que j'écoute les antennes de Radio France, je n'ai pas l'impression d'un service public à ma dévotion. France Info a choisi comme slogan "Tous en campagne", c'est une très bonne formule, mais personne ne peut croire que cette radio d'information fait, aujourd'hui, campagne pour moi. Le patron d'une autre radio publique [Olivier Poivre d'Arvor, NDLR], entièrement financée par de l'argent public, a déclaré à plusieurs reprises qu'il appelait l'alternance de ses voeux. C'est du jamais-vu et cela n'a pas l'air de troubler outre mesure vos confrères. Imaginez une seule seconde que le patron d'une chaîne publique, ou même un simple directeur d'antenne, ait publiquement annoncé qu'il soutiendrait le candidat Nicolas Sarkozy, ce serait un torrent d'indignation.
La légalité de la taxe sur les télécoms, destinée à compenser le manque à gagner dû à l'arrêt de la publicité, va être jugée par un tribunal européen. La jurisprudence constante de la Cour, depuis l'arrêt Albacom, laisse augurer une issue défavorable pour la France. Cela représente 1,2 milliard d'euros de remboursement à la charge de l'État. Avez-vous sous-estimé le risque juridique de la situation ?
Je ne souhaite pas préjuger de l'issue de ce contentieux, attendons la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.
Une querelle entre Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent, tous deux nommés par vous, a jeté l'Audiovisuel extérieur de la France dans un tourbillon infernal. Pourquoi avez-vous attendu des mois avant de faire trancher ce conflit ?
Le président de la République n'a pas vocation à intervenir pour trancher des conflits de personnes à l'intérieur des groupes publics. Il y a dans chaque conseil d'administration des représentants de l'État et du Parlement dont c'est le rôle. Ce que je constate, c'est qu'une réforme a été voulue par le gouvernement pour mettre un terme à la gabegie qui consistait à faire vivre côte à côte des entreprises qui se tournaient le dos alors qu'elles assumaient une même mission : diffuser une information et des programmes français à l'extérieur de nos frontières. Aujourd'hui, la fusion de l'Audiovisuel extérieur français est un acquis. Un acquis sur lequel il est évidemment hors de question de revenir. L'AEF va désormais fonctionner sur le modèle de Radio France et de France Télévisions. Un seul groupe, ce qui permet une gestion rationnelle, et plusieurs antennes, ce qui assure la diversité du ton, des opinions, et donc des publics.
Les géants américains du Net, de Google à Apple, menacent les dispositifs qui ont permis jusqu'ici de soutenir la création française. Avez-vous une solution à proposer pour les inviter à contribuer à leur tour ?
L'ensemble des acteurs de l'Internet - fournisseurs d'accès, distributeurs, fabricants de terminaux - a une responsabilité particulière à l'égard des créateurs de contenus sous toutes leurs formes, presse comprise, puisque ces contenus font toute l'attractivité de leurs services. C'est dans cet esprit que j'ai créé le 9 mars le Centre national de la musique, inspiré du CNC et du CNL : il sera alimenté notamment par une taxe sur les fournisseurs d'accès à Internet que je créerai dans la loi de finances pour 2013. Cette contribution ne se substituera pas au droit d'auteur - contrairement à la "licence globale" -, elle le complétera.
Mais il faut aller au-delà : tous les géants de l'Internet, notamment les opérateurs de télévision connectée, devront participer au financement de la création, ainsi qu'à celui des investissements dans les réseaux, qui sont aujourd'hui supportés exclusivement par nos fournisseurs d'accès. J'ai engagé sur ce point un dialogue très franc et direct avec les géants transnationaux du Net. Lorsque je suis allé inaugurer le siège de Google, son président, Eric Schmidt, a déclaré publiquement qu'il était prêt à rechercher avec nous un modèle de contribution au financement de la culture. À cet égard, Google est probablement en avance sur les autres par la prise de conscience de ses responsabilités.
La démarche de Google est-elle sincère ?
J'ai bien relevé, par exemple, la volonté affirmée de Google d'appliquer loyalement, de l'Irlande, la législation sur le prix unique du livre numérique que j'ai fait voter, et qui est applicable depuis le mois de novembre 2011. Les géants du Net devront également, au-delà de leur contribution au financement de la création et des réseaux, acquitter un impôt représentatif de leurs activités dans notre pays. Il n'est pas admissible qu'ils réalisent un chiffre d'affaires de plusieurs milliards d'euros en France sans contribuer à l'impôt. Vous le savez, je viens de créer un impôt minimal pour les sociétés cotées en Bourse : ma détermination est donc grande. Il y a au moins deux pistes sérieuses que je veux faire explorer concomitamment, au niveau français aussi bien qu'européen : une taxe sur la publicité en ligne et l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés - quitte, dans ce dernier cas, à renégocier certaines de nos conventions fiscales.
Pourquoi le FBI peut-il faire arrêter, à Auckland, le fondateur de MegaUpload, et pas la France ?
Ce que je crois, contrairement à François Hollande, qui se perd - peut-être volontairement d'ailleurs, afin d'éviter une position claire sur ce sujet - dans des débats byzantins pour distinguer les échanges illégaux entre particuliers (que l'on devrait tolérer sans limite) et les pirates qui font du profit (que l'on devrait poursuivre), c'est qu'en pratique de telles distinctions ne "tiennent pas" : la lutte contre le piratage doit viser tous les modes opératoires, de façon indissociable. Car aucune offre légale de musique et de films ne pourra jamais se stabiliser si l'on revient à la situation antérieure à l'Hadopi, celle de l'échange sans frein entre particuliers.
Il faut donc traiter en même temps, et dans la durée, le pair-à-pair et les sites de streaming ou de téléchargement direct dont le modèle économique est fondé sur le piratage. Cette approche globale était déjà celle de la loi Hadopi, qui pourra être complétée. Reste le cas que vous soulevez, celui des personnes responsables de ces sites, qui doivent être sanctionnées pénalement. C'est ce qu'a fait le parquet américain avec l'arrestation du fondateur de MegaUpload dans sa villa bunkérisée de Nouvelle-Zélande. Ce n'était d'ailleurs pas une nouveauté : je pense au procès des fondateurs du site Pirate Bay. Rien ne ferait obstacle à ce que les autorités françaises lancent une telle opération sur la base du délit de contrefaçon, qui est puni par nos lois de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende - sans compter, bien entendu, les dommages et intérêts qui pourraient être exigés. C'est une simple question de coopération policière et judiciaire internationale, et je souhaite qu'elle soit plus active. La leçon que je tire de l'affaire MegaUpload est optimiste : certes, d'autres sites illégaux naîtront, mais la preuve est faite que, lorsque ces offres délinquantes se font un peu trop visibles et que le dommage qu'elles créent devient trop important, elles peuvent être abattues en quelques jours. L'essentiel, c'est de les empêcher de se stabiliser, d'avoir pignon sur rue. C'est le cas pour tous les types de délinquance organisée, d'ailleurs, le piratage ne fait pas exception sur ce point.
Propos recueillis par Emmanuel Berretta
Source :
http://www.lepoint.fr/Article original :
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-p ... 523_52.php